Le long courrier que nous a adressé Gérald Darmanin, garde des Sceaux, ce lundi 11 mai (à lire ici), contient un grand nombre d’annonces plus ou moins novatrices ou réalistes en l’état des effectifs judiciaires et pénitentiaires, et d’intérêts variés.
Il s’inscrit dans la suite des trois missions diligentées par le précédent garde des Sceaux (retrouvez ici les lettres de mission : déjudiciarisation, audiencement pénal et exécution des peines) et doit être apprécié à l’aune des préconisations faites, outre quelques « pistes » ministérielles.
L’USM se félicite du soutien marqué du garde des Sceaux aux personnels judiciaires et de son hommage à leur engagement mais regrette qu’au quotidien la parole politique, souvent décomplexée, vienne très largement critiquer le travail d’individualisation judiciaire dans l’application de lois pourtant démocratiquement votées.
L’USM se félicite de l’obtention d’un budget préservé pour l’essentiel et des annonces faites concernant la concrétisation du troisième grade, mesure portée dans nos demandes de négociations salariales dès 2021 (voir ici l’historique et le contenu de nos revendications portées de longue date à ce sujet), fondées sur la revendication d’une égalité avec nos collègues de l’ordre administratif, et des nouvelles grilles indiciaires qui vont en découler. Avec cette réforme, les goulets d’étranglement du 5e échelon du 2nd grade et du B3 ou Bbis 3 du 1er grade, mais aussi à chaque échelle-lettre du HH, disparaitront ! C’est une grande avancée matérialisée par un « bleu » (document budgétaire) négocié en réunion interministérielle. Nous attendons d’avoir les projets de décrets avec les grilles, les conditions de reclassement, les accélérateurs de carrière, notamment pour les encadrants intermédiaires, pour vous en dire davantage et vous fournir des exemples concrets.
L’USM est satisfaite de la volonté politique affichée de poursuivre les recrutements de personnels judiciaires et attend avec impatience la finalisation du groupe de travail sur la charge de travail des magistrats et sur la modélisation des organisations des juridictions, en particulier de l’équipe autour du magistrat.
L’USM soutient fermement la volonté d’anonymisation des décisions de justice dans le cadre de l’Open Data, mesure qu’elle porte pour protéger les personnels judiciaires et éviter la réalité du profilage judiciaire. L’USM fait le souhait que les progrès promis en termes d’applicatifs et d’IA judiciaires ne connaissent pas le même sort que les innombrables annonces passées et insiste constamment sur la mise à jour des trames en fonction des réformes successives. L’informatique doit cesser d’être un irritant majeur dans un monde où nos interlocuteurs bénéficient des dernières avancées technologiques.
L’USM est également au soutien de la création d’une peine de probation autonome, suffisamment encadrée et coercitive, ce qui nécessite des moyens importants au soutien des SAP et SPIP. D’une manière générale, sans moyens humains et informatiques les réformes, quelles qu’elles soient, ne resteront qu’incantatoires !
Concernant les propositions les plus emblématiques du courrier, l’USM note qu’il s’agit pour la plupart de grandes lignes qui ne permettent pas de se prononcer précisément en l’état.
Ainsi, s’agissant de la « CRPC criminelle », l’USM rappelle avoir été favorable à un tel dispositif concernant le narcotrafic en l’absence de victimes mais s’interroge sur son effectivité s’agissant du contentieux des CCD où les faits sont rarement reconnus dans leur globalité et où la victime doit conserver toute sa place. En l’état et sans connaitre le dispositif retenu, il est difficile de se positionner mais il est d’ores et déjà certain qu’une transposition du dispositif correctionnel est exclue.
S’agissant de la suppression du sursis simple, dans le cadre d’une échelle des peines rénovée, couplée à une automaticité de l’incarcération en cas de non-respect des obligations du sursis probatoire et à la hausse des « pieds de peine », l’USM exige une réflexion poussée permettant notamment d’en projeter les conséquences en termes de volume de condamnés concernés en milieu ouvert comme fermé, outre le non-dit concernant le rôle des SAP dans cette architecture.
Plus généralement, s’agissant de la surpopulation carcérale, l’USM constate qu’aucune mesure ou solution politique, comme une loi ou un décret d’amnistie, n’est proposée pour régler l’urgence que constitue l’état des prisons à l’approche de la période estivale.
Concernant les mesures civiles, l’USM soutient, depuis les Etats généraux de la justice, une solution visant à instaurer des droits de justice inversement proportionnels au succès des prétentions des parties avec une affectation au budget de notre ministère (retrouvez ici nos propositions pour financer une justice civile de qualité). En revanche l’USM estime que les mesures de recours au règlement amiable des litiges mises en place ces dernières années (MARD, ARA …), même si elle y est favorable dans leur principe, ne constituent pas des outils adaptés à la résorption des stocks et, surtout, nécessiteraient un nombre de magistrats et de greffiers conformes aux standards CEPEJ pour fonctionner utilement.
L’USM est très critique concernant toute orientation visant à réserver un sort plus favorable aux délinquants en « cols blancs » qu’à la délinquance de voie publique ou aux atteintes aux personnes …
Finalement, cette lettre d’intention constitue surtout une feuille de route ministérielle à partir de laquelle un travail de concertation peut se poursuivre. Pour autant, la réalité d’une vie parlementaire instable, sans réelle majorité, avec des moyens budgétaires limités va s’imposer (sur 1 000 euros de dépenses publiques, seuls 5 euros vont au ministère de la justice, judiciaire et pénitentiaire compris).
Les Etats généraux de 2022 préconisaient une pause législative et des moyens pour permettre à l’existant de fonctionner de manière qualitative. L’USM rappelle ce préalable indispensable. Nous en sommes encore loin, au moins en termes d’intention et de communication.