Le narcotrafic doit être combattu sans relâche parce qu’il se nourrit de notre démocratie libérale
L’USM est moteur en matière de réflexion et de propositions concernant la lutte contre le crime organisé et le narcotrafic aux fins de donner aux magistrats et aux enquêteurs les moyens de lutter efficacement contre ce péril démocratique majeur.
Nous avions, en mars 2025, largement communiqué avec notre partenaire UNSa-Police pour solliciter les outils juridiques les plus adaptés.
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Cette semaine nous faisons paraitre une tribune, sous la plume d’Audrey Bailleul, notre déléguée de section à la cour d’appel de Paris et ancienne de la JIRS de Lille, et de Ludovic Friat, président de l’USM, pour rappeler les enjeux de ce combat (services spécialisés renforcés, lutte contre la corruption à tous niveaux, moyens juridiques adaptés et efficaces, un droit clair et cohérent).
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L’USM estime que ce terrain judiciaire ne peut être abandonné, comme l’a trop longtemps été notre institution pendant 30 ans, sauf à accepter de renoncer collectivement à une part de notre souveraineté et à courir le risque de faire éclore l’idée que cette lutte pourrait être menée sans règle, renonçant alors à notre Etat de droit.
Voici le texte de notre tribune :
« Du règlement de comptes au « narchomicide », puis au « meurtre d’intimidation », la sémantique du trafic de stupéfiants révèle une prise de conscience salutaire de la gravité de son emprise sur notre territoire et nos esprits. Mais cette surenchère dans le vocabulaire est-elle également le signe que la France a perdu le combat contre le crime organisé ? S’il s’agit, comme en son temps contre le terrorisme, de mener une guerre, force est alors de constater que nous avons mis du temps pour sonner la mobilisation générale.
En avril 2024, près de 500 magistrats signaient une tribune [dans Le Monde] alertant sur le « manque abyssal de moyens humains » dans la lutte contre la criminalité organisée. Au mois de mai 2024, à la faveur d’un rapport sénatorial, le monde politique faisait enfin unanimement le constat d’une montée en puissance de la criminalité dite « du haut du spectre » et de l’urgence d’y répliquer par le renforcement, la coordination et la structuration de nos moyens de lutte. Il aura pourtant fallu plus d’un an pour que soit enfin promulguée au Parlement, le 13 juin, la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Un an pendant lequel la France est devenue le pays européen le plus touché par les arrivées massives de cocaïne selon l’Office antistupéfiants, qui note une augmentation de 45 % des saisies de cocaïne au premier semestre 2025 par rapport à l’année 2024, laquelle avait déjà connu une explosion de 130 % par rapport à 2023.
Pendant cette année d’attentisme, la Belgique et les Pays-Bas, pays où nous assistions sidérés à l’explosion des exécutions et des menaces proférées à l’encontre de personnalités publiques, semblent quant à eux être parvenus à maîtriser l’afflux de drogue aux ports de Rotterdam, d’Amsterdam ou d’Anvers, lequel s’est naturellement déversé dans les ports français.
Si les mesures emblématiques de la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic constituent une avancée, telles la création d’un Parquet national anticriminalité organisée, abritant notamment une cellule de coordination opérationnelle à compétence nationale, ou la mise en place d’établissements pénitentiaires permettant de rompre le lien entre le crime organisé et ses donneurs d’ordre incarcérés, il semble évident aujourd’hui qu’elle ne peut à elle seule atteindre l’objectif fixé. Car tel l’Hydre de Lerne, le trafic international de stupéfiants se régénère sans cesse, et chaque coup porté à ses affaires génère en réaction de nouvelles violences. Dès lors, la question n’est pas : frappons-nous assez fort, mais plutôt frappons-nous bien ?
Car l’ennemi n’est pas extérieur, il se nourrit de nos faiblesses, mais aussi de nos forces, pour les retourner contre nous, et c’est ce qui le rend si dangereux pour notre démocratie. Le libre-échange est son terreau ; les immenses flux de conteneurs qui sillonnent les océans lui permettent d’accroître en nombre et en quantité les exportations de stupéfiants vers l’Europe tout en minimisant le risque de saisies ou de poursuites. Nos droits fondamentaux sont aussi pour lui un refuge, à commencer par le droit de propriété, qui fait qu’encore aujourd’hui, malgré la loi dite « Warsmann » du 4 juin 2024, les confiscations des biens des délinquants exigent une analyse extrêmement poussée afin de garantir que les biens concernés sont bien la propriété du condamné et que leur confiscation ne porte pas une « atteinte excessive », ni à leur patrimoine ni à leurs droits fondamentaux – lorsqu’il s’agit, par exemple, de confisquer le domicile familial.
Faut-il pour autant renoncer aux uns pour atteindre les autres ? Reprenant les codes du terrorisme, les narcotrafiquants s’attaquent désormais directement à notre Etat de droit, en défiant nos libertés par l’exercice de violences arbitraires. Parce qu’il se nourrit de notre démocratie libérale, dont il menace de s’approprier jusqu’aux institutions, le narcotrafic doit être combattu sans relâche, grâce à des outils adaptés permettant une réponse ferme et déterminée, mais conforme à nos principes.
Préserver notre Etat de droit face à ce fléau, c’est d’abord lutter contre la corruption. Avec une puissance financière évaluée au minimum à 5 milliards d’euros, les trafiquants osent tout, sur la base de techniques d’approche ciblées et de menaces polymorphes. Mais que vaudrait cette menace si elle ne trouvait pas à s’exercer au sein de quartiers oubliés, de services publics délabrés et de tribunaux saturés ? La force du trafic, c’est d’abord et avant tout la faiblesse structurelle des moyens consacrés à la lutte.
Alors que des investigations complexes et parfois dangereuses deviennent impératives, les enquêteurs font cruellement défaut depuis la réforme de la police judiciaire de décembre 2023. Et que vaut la spécialisation affichée d’une poignée de magistrats lorsque ceux-ci sont sans cesse appelés à prêter main-forte aux affaires urgentes de la comparution immédiate ou aux cours criminelles départementales en manque cruel d’effectifs ?
Au-delà de son nécessaire renforcement, l’arme du droit doit être plus maniable et adaptée. Qui sait qu’aujourd’hui pour traiter une demande relative à la détention provisoire, les magistrats doivent se conformer, selon le cadre de leur saisine, à de multiples délais se comptant parfois en jours, parfois en mois, certains de ces délais impératifs, dont le non-respect entraîne la remise en liberté immédiate du prévenu, ayant encore été récemment modifiés ? Ceci n’est qu’un exemple parmi de nombreux autres. La simplification de la procédure pénale est un impératif et une urgence. Les magistrats instructeurs et les chambres de l’instruction sont aujourd’hui noyés sous le contentieux de la liberté, et incapables de s’atteler au fond des dossiers.
Si guerre contre le crime organisé il y a, c’est avec un droit compréhensible, efficace et prévisible que nous serons suffisamment armés pour le combattre ».

