L’amiable, une justice apaisée mais à quel prix?

30 octobre 2025

L’audience de règlement amiable est un dispositif entrant dans les modes alternatifs de règlement des différends très en vogue à l’heure actuelle au sein de notre ministère qui a mis en œuvre depuis janvier 2023 une « politique de l’amiable ».

L’’USM avait d’ailleurs déjà été consultée par la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) à propos de deux projets de décrets importants en la matière :

  • en octobre 2024, sur le projet de décret de recodification du livre V du code de procédure civile portant sur la résolution amiable du litige laissant aux parties le soin de recourir à des modes alternatifs ou parallèles de règlement total ou partiel de leur affaire (ici)
  • en 2025 sur le décret du 18 juillet 2025 portant « réforme de l’instruction conventionnelle et recodification des modes amiables de résolution des différends » (ici).    

L’audience de règlement amiable, régie par les articles 1532 et suivants du code de procédure civile, est définie à l’article 1532-1 de la manière suivante : « L’audience de règlement amiable a pour finalité la résolution amiable du différend entre les parties, par la confrontation équilibrée de leurs points de vue, l’évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs, ainsi que la compréhension des principes juridiques applicables au litige. » 

Le recours à l’ARA et plus largement aux MARD doit permettre de pacifier les relations entre les justiciables dans certaines situations.  

Dans les juridictions qui ont mis en place l’ARA, les retours sont plutôt positifs. Les collègues y voient pour une partie d’entre eux une autre façon d’envisager l’office du juge civil et un enrichissement de leur pratique. Les auditeurs qui assistent à ces audiences de règlement amiable, en sortent ragaillardis et convaincus de leur utilité.  

Le taux de réussite de ces audiences semble positif également bien qu’aucune donnée statistique fiable n’existe à l’échelle nationale quant au nombre d’accords conclus et de désistements / retraits du rôle intervenus.  

Mais la pratique de l’ARA se heurte cruellement à l’écueil du manque des moyens matériels et humains. Le manque de salles adaptées est fréquemment souligné par les collègues qui en président, et certains collègues se sont parfois retrouvés à tenir des audiences dans des locaux servant habituellement de débarras ou de salle de repas. C’est toutefois un manque de moyens humains qui est surtout relevé. Les magistrats consacrent beaucoup de temps à tenter de favoriser l’émergence d’un accord, mais combien d’autres dossiers en stock demeurent en souffrance? 

Pour identifier les dossiers susceptibles de faire l’objet d’une audience de règlement amiable, le juge de la mise en état se doit d’effectuer une analyse plus poussée des dossiers qu’il gère, ce qui n’est pas sans soulever de problèmes quand l’audience compte plus d’une centaine de dossiers. Le collègue, qui assure la présidence des ARA, devra consacrer beaucoup de temps à chaque dossier, entre la préparation (lecture des conclusions et des pièces, prise de contact avec les avocats) et la tenue de l’audience. A l’évidence, cela aura un impact sur le traitement des autres affaires enrôlées devant la juridiction.  

Le manque de personnel de greffe pour l’envoi des courriers ou pour assister aux audiences est également un problème. Dans nombre de tribunaux, les greffiers n’assistent plus aux audiences d’assistance éducative, alors comment penser qu’ils seront présents lors d’audiences de règlement amiable durant fréquemment plusieurs heures, voire un après-midi entier ? Dans certaines juridictions, l’ARA a été bannie faute d’effectif de greffe suffisant.  

En fait, cette conception nouvelle de l’office du juge ne pourra véritablement prendre vie qu’en pensant une véritable équipe autour du magistrat, étoffée et formée. Confier à des attachés de justice le soin de trier les dossiers pouvant faire l’objet d’une ARA au stade de la mise en état, ou à des MHFJ le soin de gérer les audiences d’ARA est séduisant. Mais avec un attaché de justice pour cinq magistrats dans nombre de tribunaux ou encore avec la diminution drastique du nombre des vacations des MTT ou les MHFJ, c’est un leurre.  

L’ARA ne trouvera sa place dans les juridictions, n’en déplaise à la chancellerie, que si elle est accompagnée des moyens nécessaires pour ce faire. 

Et ce n’est pas en sanctionnant les collègues croulant sous la masse des dossiers en stock lors de leurs évaluations et devant faire face aux injonctions contraires (résorber les stocks mais prendre le temps de faire de l’ARA) que la chancellerie parviendra à améliorer la situation dans laquelle se trouve nombre de juridictions.  

Lier le recours à l’amiable aux évaluations des magistrats, comme le font les circulaires du 17 octobre 2023 (lire ici) et du 27 juin 2025 (JUSC2518302C), que l’USM a attaquées, est profondément injuste et viendra sanctionner des collègues dont la réalité ne permet pas de recourir aux MARD dans des conditions acceptables par le ministère.  

Dans le rapport du groupe de travail sur la simplification de la justice civile remis en juillet 2022 aux Etats généraux de la justice, il est précisé « c’est parce que les modes amiables ont été jusqu’alors conçus exclusivement comme un moyen au service de l’efficience de la justice, selon une logique purement gestionnaire et managériale, que les justiciables et les avocats les considèrent uniquement comme un obstacle à l’accès au juge (…) Il faut élaborer une vraie philosophie et une vraie culture des MARD en rupture avec cette approche. » Force est de constater que ce problème est toujours actuel.   

En conclusion, l’ARA et l’amiable oui mais pas à marche forcée et surtout pas sans les moyens nécessaires.  

En résumé :

✅ Définition et objectifs de l’audience de règlement amiable (ARA) 

  • Dispositif alternatif de règlement des différends, encadré par les articles 1532 et suivants du code de procédure civile ;  
  • Objectif : résolution amiable des litiges par la confrontation équilibrée des points de vue, l’évaluation des besoins et intérêts des parties, et la compréhension des principes juridiques applicables. 

✅ Avantages et retours positifs 

  • Pacification des relations entre justiciables ;  
  • Retours globalement positifs des collègues dans les juridictions l’ayant mise en place : les magistrats y voient une nouvelle approche de leur rôle, un enrichissement de leur office ;  
  • Taux de réussite intéressant. 

✅ Freins majeurs à son développement 

  • Manque de moyens matériels et humains :  
  • Manque de personnel (magistrats, greffiers) : les magistrats consacrent beaucoup de temps à l’ARA, au détriment des dossiers en stock ;  
  • Greffiers absents aux audiences, faute d’effectifs ; 
  • Charge de travail : les juges de la mise en état gèrent parfois plus de 100 dossiers par audience, rendant difficile une analyse approfondie (“mise en état intellectuelle”). Cela prend du temps au détriment des stocks. 

✅ Problèmes structurels et propositions 

  • Nécessité d’une équipe étoffée et formée autour du magistrat (attachés de justice, MHFJ, etc.), mais les effectifs actuels (ex. : 1 attaché pour 5 magistrats dans certaines cours et réduction drastique des vacations des MTT et des MHFJ) rendent cela irréaliste ;  
  • Dans certaines juridictions, l’ARA ne peut être mise en place faute de moyens matériels et/ou humains ;  
  • Recours contentieux de l’USM contre la circulaire du 17 octobre 2023 qui invite à tenir compte de l’implication des magistrats dans la politique de l’amiable pour apprécier le montant de leur prime modulable (à lire ici) ;
  • Critique de la circulaire du 27 juin 2025 : on ne peut lier le recours à l’amiable à l’évaluation des magistrats. 

✅ Critique de l’approche actuelle 

  • Les MARD sont perçus comme un outil gestionnaire et managérial plutôt qu’une vraie philosophie de résolution des conflits ; 
  • Rapport du groupe de travail sur la simplification de la justice civile remis en juillet 2022 : Il faut élaborer une vraie culture des MARD, en rupture avec une logique purement managériale.  

✅ Conclusion