Le sujet de l’équipe autour du magistrat est central et récurrent. Il touche aux réflexions sur l’avenir de l’institution judiciaire et de la profession de magistrat, et plus largement à l’organisation du travail en juridiction.
Ce sujet est présenté comme la solution à l’objectif de rendement verbalisé compte tenu des moyens supplémentaires alloués à l’institution judiciaire. L’idée d’une « division par deux des délais » avait été portée par un antépénultième garde des Sceaux. Discours politique de ceux qui ont significativement augmenté le budget de la justice, il n’est cependant pas réaliste pour quiconque connait la réalité du quotidien dans les juridictions en « état de délabrement avancé » après « 30 ans d’abandon ».
A ce jour le constat est très mitigé : on observe un empilement des statuts sans cohésion ni réflexion globale, malgré une multiplicité d’études sur le sujet, une charge de travail des magistrats objectivée comme démesurée, outre de nombreux écueils en lien avec le statut et les attributions des juristes assistants devenus attachés de justice.
« Sucres rapides » et « sucres lents », mais surtout un empilement de statuts
Qualifiés de « sucres rapides » en 2021 par le ministre de la Justice, près de 2 000 emplois temporaires ont été créés depuis dans le but d’apporter un renfort immédiat aux greffiers et magistrats. L’audit flash de la cour des comptes concluait en novembre 2023 aux résultats positifs de cette action (à lire ici). Cette appréciation positive est partagée en juridiction où ces « forces vives » ont su être utilisées comme un renfort bienvenu, mais est tempérée par un bilan contrasté s’agissant du recrutement opéré sans outils de pilotage, de la formation faite « sur le tas » et de l’absence de doctrine d’emploi.
Chacun peut en effet constater en juridiction que les tâches confiées aux attachés de justice sont très diversifiées, pour ne pas dire disparates, d’un service à l’autre, voire au sein d’un même service. En outre, présenté initialement comme une voie d’accès à la magistrature, l’ancien statut de juriste assistant n’a pas permis à nombre d’entre eux cette évolution de carrière espérée après leur contrat de 3 ans renouvelable une fois, du fait de la réalité des quotas d’intégration directe.
Nous avions pu être critiques après cette annonce en 2020, préférant la création d’emplois durables de nature à améliorer durablement le fonctionnement des juridictions. L’enjeu est désormais de corriger les points négatifs relevés et c’est dans ce but que la loi organique du 20 novembre 2023 a créé le statut d’attaché de justice, modifiant le code de l’organisation judiciaire (art. 123-4 et suivants).
Les attachés de justice ont un statut plus pérenne (détachement de fonctionnaires ou signature d’un contrat à durée indéterminée) et des fonctions élargies (assistance du magistrat, aide à la décision et soutien à l’activité administrative ainsi que mise en œuvre des politiques publiques). La loi d’orientation et de programmation de 2023 a entériné le principe d’un recrutement supplémentaire de 1 200 attachés de justice à l’horizon 2027.
A ce jour en juridiction participent à l’œuvre de justice de manière diversifiée des magistrats, des greffiers, mais également des chargés de mission, des assistants spécialisés, des assistants de justice, des magistrats à titre temporaire, magistrats honoraires chargés de fonctions juridictionnelles, désormais aussi des avocats honoraires à fonctions juridictionnelles, et des délégués du procureur et médiateurs, mais encore des stagiaires de longue durée qui se trouvent à faire fonction d’assistant ou de vacataire ! Comment chacun peut s’y retrouver ?
Il s’agit pourtant d’un sujet d’importance majeure. Ainsi, selon le Conseil européen pour l’efficacité de la Justice, l’existence, aux côtés des magistrats, d’un personnel compétent exerçant des fonctions bien définies et doté d’un statut reconnu est une condition essentielle au fonctionnement efficace des systèmes judiciaires.
Or, les effectifs français apparaissent notoirement insuffisants : il y a 35.7 personnels de Justice pour 100 000 habitants, alors que la moyenne des pays comparables en Europe est de 65.5 pour 100 000 habitants. Pour rappel s’agissant des magistrats, il y a 10,9 juges et 3 procureurs pour 100 000 habitants en France, contre 21,4 juges et 11,25 procureurs pour 100 000 habitants en moyenne en Europe. Le ratio personnel non magistrat/magistrat est en Europe en moyenne de 3,9, et s’étend de 1 à 10, en France il est de 2,57.
Les réflexions de l’USM
Afin de faire face aux enjeux, de tendre à une efficacité supérieure permettant de réduire stocks et délais, en cessant de se contenter d’une « justice dégradée », en un mot d’avoir une justice indépendante, efficace, humaine, il est impératif de recentrer le magistrat sur son office, de structurer l’équipe juridictionnelle autour du magistrat, et de donner à cette équipe tous les moyens nécessaires pour fonctionner correctement et durablement (organisation claire du travail, locaux adaptés, outils informatiques efficaces).
Le magistrat seul isolé au milieu de ses piles de dossiers papiers qui rédige ses décisions du chapeau à la liste des notifications, après avoir lu l’intégralité des documents fournis pour en déterminer la pertinence et en faire un résumé exhaustif, n’a plus lieu d’être. Le magistrat doit désormais penser son rôle au sein d’une chaine qu’il coordonne, dès lors qu’il reste responsable de la décision qu’il prend lui. Recentré sur son office décisionnel, les autres maillons de la chaine lui permettent de disposer de tous les éléments nécessaires à sa prise de décision puis ont la charge de la mise en œuvre concrète de cette dernière.
Le magistrat doit donc endosser le rôle d’un chef d’équipe, qui connait et respecte les attributions de chacun et dynamise les membres de son équipe. Ces nouvelles compétences managériales doivent ainsi être acquises par le biais de formations spécifiques.
Cette conception du magistrat chef d’équipe doit permettre de concevoir le rôle du magistrat au-delà de ses fonctions juridictionnelles de base, fonction par fonction, afin de lui permettre de s’impliquer dans des projets transversaux (pôle VIF / développement de l’amiable / parcours d’aide aux victimes…).
Le conseil national de l’USM 2023/2024 a mené des travaux complets sur ce sujet fondamental
Après un état des lieux de la situation actuelle dans la justice judiciaire (partie 1) et le recueil de diverses pistes de réflexion sur ce qui se fait dans d’autres institutions françaises, européennes ou dans les systèmes judiciaires de nos voisins (partie 2), nous avons établi une liste de propositions concrètes concernant l’équipe autour du magistrat, ou « l’équipe judiciaire », visant à faire face aux enjeux et tendre à une efficacité accrue permettant de réduire stocks et les délais, en cessant de se contenter d’une « justice dégradée » (partie 3).
A la recherche documentaire s’est ajoutée une réflexion poussée sur nos propres pratiques professionnelles, notre groupe de réflexion étant composé de magistrats d’expériences et d’horizons diversifiés (carrière antérieure, fonctions exercées, ressort géographique…). Nous avons également échangé avec nos interlocuteurs habituels (UNSA, USMA…) et nos collègues de terrain.
Retrouvez la note du conseil national de l’USM sur notre site internet (ici).

