Un vent d’espoir souffle sur la Pologne !
L’USM, représentée par Alexandra Vaillant et Natacha Aubeneau, a participé au congrès annuel de l’Association européenne des magistrats (AEM) qui se tenait à Varsovie, du 25 au 27 avril 2024, organisé par Iustitia, l’association des juges polonais.
C’était un événement particulièrement émouvant, porteur d’espoir, qui a commencé par des conférences en hommage à la marche des 1000 robes du 11 janvier 2020 et à l’évolution de la situation en Pologne. En effet, lorsque l’AEM a décidé, il y a plus d’un an, d’organiser son congrès annuel en Pologne, l’état de droit y était alors gravement menacé. Les élections d’octobre 2023 ont permis de voir renaître une lueur démocratique. Le nouveau ministre de la justice, Adam Bodnar, militant des droits de l’homme, ancien ombudsman démis de ses fonctions en 2021 par le gouvernement précédent, est venu en personne expliqué comment il s’attelle à restaurer l’indépendance de la justice et des juges. Preuve de cette évolution, le 29 mai 2024, la Commission européenne a décidé de clore la procédure prévue à l’article 7, paragraphe 1, du traité sur l’Union européenne (TUE), à l’égard de la Pologne, en retirant sa proposition motivée qui avait déclenché cette procédure en 2017. Elle considère qu’il n’y a plus de risque clair de violation grave de l’état de droit en Pologne au sens de cette disposition. La Pologne a lancé une série de mesures législatives et non législatives pour répondre aux préoccupations concernant l’indépendance du système judiciaire, a reconnu la primauté du droit communautaire et s’est engagée à mettre en œuvre tous les arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme relatifs à l’état de droit et l’indépendance du pouvoir judiciaire.
La « Marche des 1000 robes » s’est déroulée le 11 janvier 2020 à Varsovie sous la devise : « Droit à l’indépendance. Droit à l’Europe ». Des magistrats de toute l’Europe se sont rassemblés à Varsovie pour rejoindre les magistrats et citoyens polonais afin de manifester avec eux pour la défense de l’indépendance de la justice. C’était la plus grande manifestation de juges en Europe : 30 000 personnes, dont des centaines de magistrats de 22 pays européens, dont la France représentée par l’USM, ont marché pendant deux heures dans les rues de Varsovie, de la Cour suprême au Parlement polonais, en passant par le palais présidentiel, où ils ont revendiqué le respect de l’indépendance de la justice, pilier de la démocratie et de l’état de droit.
En hommage à cette marche, l’UIM a proposé aux Nations Unies de faire du 11 janvier une journée pour l’indépendance de la justice dans le monde. Parce qu’aucun État ne peut protéger ses citoyens sans un système judiciaire efficace et indépendant, la France, par la voix de l’USM, a soutenu cette motion qui n’a pour l’instant pas abouti. Retrouvez notre article en soutien à cette initiative ici.
Le reste du congrès a été l’occasion d’adopter des résolutions au soutien des pays où l’indépendance du pouvoir judiciaire est menacée :
Un projet de réforme constitutionnelle vise à scinder l’actuel Haut Conseil (équivalent du CSM) en deux instances distinctes, l’une pour le siège et l’autre pour le parquet, dont la moitié des membres de chaque instance seraient désignés par le gouvernement. Condamnant une sérieuse attaque ainsi portée à l’indépendance de la justice en Italie, une remise en cause de l’équilibre des pouvoirs et une violation des normes européennes, mais aussi une tentative d’affaiblissement des procureurs et une atteinte au principe des poursuites obligatoires qui risquent de nuire à l’efficacité du système de justice pénale, l’AEM s’inquiète des effets qu’une telle réforme auraient quant à l’influence de la sphère politique sur la sphère judiciaire et demande aux autorités italiennes de reconsidérer ce projet pour ne pas s’éloigner des standards européens destinés à garantir l’état de droit.
2 sujets sont évoqués dans la résolution :
– Le fonctionnement du Conseil supérieur de la magistrature espagnol est parasité depuis 2018 par des dissensions politiques au sein du Parlement qui ont non seulement empêché la nomination de nouveaux membres du CSM – de sorte qu’y siègent des membres dont le mandat a depuis longtemps expiré – mais qui ont aussi fait obstacle, depuis 2021, à la nomination des plus hauts magistrats du pays, notamment des juges de la Cour suprêmes et des présidents de juridictions. Rappelant que, selon les standards européens, les membres magistrats d’un CSM doivent être désignés par leurs pairs, l’AEM demande aux autorités espagnoles de restaurer le fonctionnement plein et entier du « Conseil général du pouvoir judiciaire » (CSM).
– En outre, sous la pression des indépendantistes catalans – dans les suites de la tentative de sécession avortée de la Catalogne en 2017 – une loi d’amnistie en faveur des indépendantistes catalans (finalement définitivement adoptée le 30 mai 2024) ouvre la possibilité de mener des enquêtes sur les condamnations pénales prononcées contre les acteurs de cette tentative de sécession, incluant la possibilité de convoquer des magistrats devant des commissions d’enquêtes parlementaires pour répondre aux allégations selon lesquelles leurs décisions auraient été prises pour des raisons politiques. Rappelant que les juges n’ont pas de comptes à rendre aux autres branches du pouvoir à raison de leurs décisions judiciaires sauf à porter gravement atteinte à l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’AEM demande aux autorités espagnoles de retirer ce projet de loi et de faire cesser les campagnes ainsi menées à l’encontre des juges.
La rémunération des magistrats est gelée depuis 2021 alors que celle de presque tous les agents des autres pouvoirs de l’État ont bénéficié d’augmentations conséquentes de leurs salaires pour suivre le taux d’inflation, notamment une augmentation de 13,9% en mars 2024. Rappelant que le niveau de rémunération des juges est une garantie d’indépendance du pouvoir judiciaire posée par les standards européens et internationaux ainsi que par la jurisprudence de la CEDH, l’AEM réclame l’augmentation immédiate des salaires des juges hongrois et sollicite pour l’avenir des augmentations au moins équivalentes à celles des décideurs d’autres branches du gouvernement.
Comme en Hongrie, l’AEM dénonce des rémunérations si basses qu’elles portent atteinte à l’indépendance de la justice et à la séparation des pouvoirs. Tout comme la Cour constitutionnelle de Slovénie a rappelé ces principes, l’AEM exhorte les autorités slovènes à respecter ces standards européens et à donner aux magistrats les ressources nécessaires à garantir l’état de droit.
Soutien à Murat Arslan :
Enfin, un vibrant hommage a été rendu à notre collègue turc, Murat Arslan, détenu depuis 8 ans en Turquie pour avoir voulu défendre l’indépendance de la justice. Murat Arslan a été rapporteur de la Cour constitutionnelle turque et président de l’Association pour l’Union des juges et procureurs turcs (YARSAV), aujourd’hui dissoute. Fervent partisan de l’indépendance du pouvoir judiciaire, il a remporté l’édition 2017 du Prix des droits de l’homme Václav Havel (distinction créée en 2013 et décernée chaque année par l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe), qui récompense une action exceptionnelle de la société civile en faveur des droits de l’homme. Alors qu’il est en détention depuis 2016, condamné à 10 ans de prison, l’AEM soutient sa demande de libération conditionnelle, jusqu’alors refusée.
Une nouvelle audience aura lieu en juillet. Une page du site de l’UIM lui est dédiée ici. L’USM a écrit au ministre turc de la justice au soutien de la libération de Murat Arslan : à lire ici.