L’USM s’interroge sur les motivations profondes de la déjudiciarisation en matière civile.
En novembre 2024, une mission sur la « déjudiciarisation » a été confiée aux chefs des plus hautes juridictions françaises, Cour de cassation, Conseil d’Etat et Cour des comptes. Consultée dans le cadre de cette mission, l’Union syndicale des magistrats a réaffirmé, comme elle l’avait fait pendant les Etats généraux de la justice, que toute réforme de la justice doit être précédée d’un renforcement des moyens humains et matériels.
Alors que près de 2 millions de décisions civiles et commerciales ont été rendues en 2023, la déjudiciarisation semble malheureusement envisagée avant tout comme un moyen de désencombrer les juridictions, résorber le retard, pallier la lenteur d’un système judiciaire embolisé, alors que par ailleurs l’inflation législative et réglementaire se poursuit, étendant chaque jour davantage le domaine d’intervention du juge et alourdissant sa charge de travail à moyens constants.
L’USM met toutefois en garde contre ses dérives potentielles : restriction de l’accès au juge et risque d’une justice à deux vitesses.
Voici, en résumé, ce que nous avons pu défendre dans ce cadre :
I. Sens et objectifs de la déjudiciarisation
1. Finalité recherchée
- La déjudiciarisation ne doit pas viser uniquement l’économie budgétaire ou la réduction du volume d’affaires.
- Son objectif légitime doit être l’amélioration de la qualité de la justice, dans le respect du rôle constitutionnel du juge et de la protection des droits fondamentaux.
2. Deux formes principales :
a) Les modes amiables de règlement des différends (MARD)
- Exemples : conciliation, médiation, audience de règlement amiable.
- Peuvent conduire à :
- une déjudiciarisation totale (pas d’intervention du juge) ;
- une déjudiciarisation partielle (homologation par le juge).
- L’USM alerte sur :
- le manque de formation juridique de certains médiateurs/conciliateurs ;
- le risque d’accords inéquitables ;
- le manque de conciliateurs disponibles ;
b) La déjudiciarisation de certains contentieux
- Transfert à d’autres acteurs : administrations, notaires, avocats, CAF, etc.
- Exemples : divorce par consentement mutuel sans juge, intermédiation CAF pour les pensions, assistance éducative.
- L’USM souligne :
- une perte de garanties pour le justiciable ;
- des coûts accrus et des inégalités ;
- l’échec de la déjudiciarisation mal préparée (ex. : assistance éducative → protection des mineurs dégradée, retour massif du juge).
3. Principes à préserver
- Droit au procès équitable
- Egal accès au juge et égalité devant la loi
- Encadrement légal strict et existence de voies de recours.
II. Modalités et propositions de l’USM
1. Ne pas surestimer l’amiable
- Le développement de l’amiable ne doit pas cacher une déjudiciarisation déguisée.
- Son efficacité dépend d’un encadrement juridique solide.
2. Renforcer le rôle du juge de la mise en état (JME)
- Mieux utiliser les outils existants pour :
- filtrer et orienter les affaires ;
- favoriser le dialogue avec les avocats ;
- encourager la mise en état participative.
- Consolider les juges de l’amont (référés, expertises) pour désengorger les juges du fond.
3. Simplifier les procédures
- Privilégier la rapidité des procédures existantes plutôt que la création de dispositifs parallèles.
- Une justice rapide prévient la multiplication des litiges.
4. Réaffecter certaines compétences au juge administratif
- Transfert souhaitable pour certains contentieux : douanes, fiscalité, commande publique.
5. Éviter les transferts de charges entre juridictions
- Exemple : certaines déjudiciarisations pénales (ordonnances de protection) saturent la justice civile.
6. Examiner le développement des barèmes et de l’IA
- Les outils de standardisation (barèmes, IA, open data) :
- risquent de réduire le pouvoir d’appréciation du juge ;
- peuvent accentuer les inégalités (ex. : indemnisations amiables inférieures aux jugements).
7. Domaines déjà largement déjudiciarisés
- Droit du travail : rupture conventionnelle, PSE, barèmes prud’homaux → baisse du contentieux mais inégalités accrues.
- Droit commercial : arbitrage et négociation déjà dominants, peu de marges pour aller plus loin.
Conclusion
L’USM met en garde contre deux dérives majeures :
- Atteinte à l’accès au juge et aux garanties procédurales, touchant surtout les justiciables fragiles.
- Transfert de charges entre juridictions, sans allègement réel du système judiciaire.
La véritable priorité n’est pas la déjudiciarisation, mais le renforcement des moyens et une réforme globale, cohérente et qualitative de la justice. Vous pouvez lire en intégralité notre note remise à la “mission flash” sur la déjudiciarisation en cliquant sur ce lien.

