La circulaire du garde des Sceaux du 13 octobre 2025 relative à l’accueil et l’amélioration de la prise en charge des victimes d’infractions pénales va engendrer un surcroît de travail important dans les juridictions, sans avoir fait l’objet d’une discussion préalable ou d’une étude d’impact.
Si la prise en compte des victimes nous anime tous, encore faut-il avoir les moyens d’une telle politique.
C’est notamment ce que nous avons exprimé au garde des Sceaux dans un courrier envoyé ce jour que vous trouverez reproduit ci-dessous, dans lequel l’USM dénonce une nouvelle « priorité ministérielle », déconnectée des réalités de terrain et dépourvue de moyens, rappelle l’engagement déjà constant des magistrats, déplore l’absence de concertation sociale, alerte sur la surcharge de travail et l’insuffisance chronique des effectifs, et conteste les instructions ministérielles portant atteinte à l’indépendance du siège.
Monsieur le ministre de la Justice, garde des Sceaux,
L’USM a pris connaissance de votre circulaire du 13 octobre 2025 (JUST 2527935C) relative à l’accueil et l’amélioration de la prise en charge des victimes d’infractions pénales.
Il n’est nul besoin d’une circulaire pour convaincre les magistrats et les personnels judiciaires que cette thématique est une priorité qui fait l’objet, au quotidien et avec les moyens qui sont les nôtres, d’une attention particulière.
Les organisations mises en place dans les juridictions, et notamment s’agissant des pôles VIF, s’y emploient.
Définir et décliner les priorités ministérielles, puis le faire largement savoir, est sans doute une nécessité politique et médiatique mais, à force de multiplier les priorités, le sens de celles-ci s’affaiblit sur le terrain judiciaire.
Au surplus, faute de moyens adéquats permettant la concrétisation d’une telle ambition -le budget n’étant pas encore voté- celle-ci pourrait demeurer au mieux un voeux pieux, au pire devenir une source de mise en cause professionnelle des personnels.
L’USM regrette que vous n’ayez pas estimé utile de porter ce sujet au sein des instances de dialogue social alors que vos directives impactent précisément l’organisation des juridictions et les conditions de travail des personnels.
Affirmer une priorité est une chose, donner aux magistrats et personnels judiciaires les moyens de l’appliquer en est une autre même s’il faut convenir que nombre de préconisations sont déjà déclinées ou en cours de déclinaison en juridiction.
Il faut également indiquer que la mise en œuvre de votre circulaire constitue un important volume de travail, et ce parfois à très bref délai. Au vu de la réalité des juridictions, notamment l’état des stocks des audiencements correctionnels et criminels, et du surinvestissement professionnel des personnels, quels services entendez-vous voir contenus ou réduits pour gérer cette nouvelle priorité ?
Pouvons-nous collectivement continuer à faire comme s’il n’y avait pas deux fois moins de juges et quatre fois moins de procureurs que la moyenne européenne (chiffres CEPEJ) ?
Depuis juin 2025, nous avons également porté à plusieurs reprises auprès de vos services la problématique du financement des vacations des MTT et des MHFJ à hauteur des besoins de l’audiencement correctionnel et criminel. Pour l’USM la réduction des délais, dans l’intérêt des justiciables et des victimes, passe d’abord par un nombre de magistrats et de greffiers suffisants pour juger le volume des affaires !
Enfin, votre circulaire comporte ce qui s’analyse objectivement comme des instructions à l’égard des magistrats du siège et s’agissant de décisions de nature juridictionnelle (acte d’instruction à réaliser et comment, opportunité des décisions de renvoi …).
Ces instructions à destination des magistrats instructeurs comme des tribunaux correctionnels semblent ignorer, tout à la fois, la réalité de nos conditions d’exercice, les exigences de la procédure pénale -de nature législative- et l’impossibilité, pour l’autorité administrative que vous êtes, d’intervenir dans l’acte juridictionnel.
Nous vous l’avons clairement rappelé vendredi dernier, lors de notre congrès de Paris, s’agissant de la circulaire de politique civile, liant l’évaluation des magistrats du siège à la déclinaison de politiques gouvernementales prioritaires, que nous avons attaquée.
Monsieur le ministre, nous croyons au dialogue social et nous sommes en la matière exigeants.
Au-delà des accords récemment signés en matière d’égalité ou de qualité de vie au travail, vous devez faire vivre cette discussion, plutôt que d’user de tels expédients juridiques la contournant.
Je vous prie de croire, monsieur le ministre de la justice, en l’expression de ma haute considération.
Ludovic Friat
Président de l’USM

