Justice pénale : audiencement, bilan des CCD

6 novembre 2025

Pour poursuivre la présentation des interventions de l’USM concernant la justice pénale, aujourd’hui nous vous proposons un focus sur la thématique de l’audiencement criminel et correctionnel abordant les travaux d’évaluation de la réforme des cours criminelles départementales.

Retrouvez ici la note déposée dans le cadre de la mission flash sur l’audiencement correctionnel et criminel, et notre contribution concernant la mission d’évaluation de la réforme créant les cours criminelles départementales.

Nous vous communiquerons prochainement notre note adressée à la « mission flash » de l’Assemblée Nationale sur les extractions judiciaires et les solutions issues du protocole post drame d’Incarville auquel les organisations syndicales de magistrats n’ont pas été associées, concernant le développement de la visioconférence et des déplacements de magistrats/greffiers au sein des établissements pénitentiaires.

Même résumée, cette thématique est dense, en voici les points saillants :

1. Constat global : Une justice sous-dotée

  • Manque criant de moyens :
    • 3,2 procureurs et 11,3 juges pour 100 000 habitants en France, contre 12,2 procureurs et 21,9 juges en moyenne en Europe (CEPEJ 2024)
    • 20 000 magistrats nécessaires (contre 9 500 actuellement) pour une justice fonctionnelle
    • Budget de 1,4 % du budget de l’État en 2025, dont seulement 38 % pour la justice judiciaire
  • Conséquences :
    • Délais inacceptables, perte de confiance des justiciables (50 % des Français n’ont pas confiance dans leur justice)
    • Engorgement chronique des juridictions, avec un risque de déni de justice en cas de délais excessifs

2. Problématiques des juridictions correctionnelles

a. Constats

  • Engorgement :
    • Augmentation des procédures en lien avec les diverses « priorités » identifiées (violences PDAP, VIF, points de deal)
    • Procédures rapides (CI, CPV-CJ) : Jugement accéléré des prévenus détenus, au détriment des prévenus libres et sans mesures de sureté
    • Renvois fréquents : Surcharge des audiences et perte de temps
  • Manque de moyens :
    • Outils informatiques obsolètes
    • Locaux insuffisants pour les audiences
    • Effectifs stables malgré l’augmentation de la charge de travail

b. Procédures alternatives et jugement simplifié

  • CRPC et ordonnances pénales :
    • Utiles pour les délits mineurs et primo-délinquants
    • Risques : Inégalité de traitement selon les ressorts, place limitée des victimes
  • Limites :
    • Ne doivent pas devenir une solution par défaut pour désengorger les tribunaux
    • Nécessité de préserver la qualité de la justice et les droits des parties

3. Les cours criminelles départementales (CCD) : Bilan et enjeux

a. Objectifs initiaux (2019-2023)

  • Création : Expérimentées à partir de 2019, généralisées en janvier 2023 pour :
    • Désengorger les cours d’assises
    • Accélérer le jugement des affaires criminelles (notamment les viols)
    • Limiter la correctionnalisation des crimes (ex. : viols jugés en correctionnelle par manque de moyens)
  • Composition : 5 magistrats professionnels (dont 2 peuvent être MTT ou MH ou avocat honoraire à fonctions juridictionnelles), compétents pour les crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion (viols, coups mortels, proxénétisme aggravé)

b. Bilan mitigé : Des moyens insuffisants

  • Manque de ressources humaines :
    • Pas de renforts réels en magistrats et greffiers malgré les alertes répétées (rapports de 2021, 2022, 2024)
    • Dépendance aux MTT et MH : Leur rémunération (vacations) est limitée (300 vacations/an), avec des difficultés budgétaires locales pour les payer
    • Charge de travail accrue : Les présidents de CCD et d’assises cumulent les audiences, avec des sessions en continu (y compris pendant les vacations judiciaires)
  • Engorgement persistant :
    • 4 000 affaires en attente fin 2023 (2x plus qu’avant le Covid) ; par exemple : 700 dossiers à Paris et 400 à Aix-en-Provence (chiffres 2025)
    • Sédimentation des dossiers avec accusés libres, tandis que les détenus sont jugés en priorité
  • Effets pervers :
    • Allongement des délais pour les cours d’assises (les CCD captent les dossiers « simples », laissant les autres s’accumuler)
    • Correctionnalisation réduite (objectif atteint), mais au prix d’un afflux de dossiers criminels vers les CCD, déjà saturées
    • Délais d’instruction rallongés (manque d’enquêteurs et d’experts), aggravant la pression sur l’audiencement

c. Fonctionnement et procédures

  • Pas de gain de temps significatif :
    • Mêmes règles procédurales qu’en cour d’assises (oralité, contradictoire)
    • Réunions préparatoires : Peu utilisées (jugées chronophages), sauf pour les dossiers complexes
    • Délibérés plus rapides (magistrats professionnels vs. jurés), mais peu si ce n’est pas de réduction du temps d’audience
  • Place des parties civiles :
    • Satisfaites pour les dossiers jugés rapidement (en cas d’accusé en détention provisoire), mais mécontentes des retards pour les accusés libres
    • Pas de différence majeure dans le déroulement des audiences (CCD vs. Assises)
  • Rôle des MTT/MH et avocats honoraires : Indispensables pour tenir les audiences, mais insuffisants pour résoudre la surcharge

4. Impact sur la chaîne pénale globale

  • Engorgement accru :
    • Les CCD ont dédoublé la première instance sans résoudre le problème de fond (manque de moyens)
    • Les appels des décisions de CCD vers les cours d’assises aggravent les délais
  • Risque de dégradation :
    • Qualité de la justice menacée si les réformes se font au détriment des principes (oralité, contradictoire, place des victimes)
    • Inégalité territoriale : Les pratiques varient selon les ressorts

5. Recommandations de l’USM

  • Priorité aux moyens :
  1. Humains : 20 000 magistrats nécessaires (recrutement et formation) ; Augmenter les vacations pour MTT/MH et avocats honoraires
  • Matériels : Modernisation des outils informatiques et des locaux
  • Budget : Augmenter la part de la justice dans le budget de l’État
  • Stabilité normative :
    • Éviter les réformes précipitées (ex. : lois sans étude d’impact)
    • Concerter tous les acteurs (magistrats, greffiers, avocats, victimes) avant toute réforme
  • Préserver les principes :
    • Oralité, contradictoire, équilibre entre droits de la défense et place des plaignants doivent rester centraux
    • Pas de justice « low-cost » : Les gains de temps ne doivent pas se faire au prix de la qualité
  • Réorganisation des audiences :
    • Protocoles d’audiencement : Limiter les renvois, harmoniser les pratiques
    • Généraliser les réunions préparatoires uniquement pour les dossiers complexes
  • Opposition à certaines réformes
  • Extension des audiences Juge unique en correctionnelle : Risque de dégradation de la qualité des décisions ; Les audiences à juge unique sont déjà surchargées et hétérogènes
  • Déjudiciarisation : Perçue comme un aveu d’incapacité à rendre la justice ; Doit rester exceptionnelle et ciblée (ex. : contentieux techniques comme l’urbanisme)
  • Explorer des pistes innovantes :
    • CRPC criminelle (plaider-coupable) : À étudier avec prudence, en associant toutes les parties (magistrats, avocats, victimes), ne peut être envisagé comme seule réponse à un manque de moyens
    • Délocalisation des CCD vers des TJ non-sièges d’assises (si les moyens suivent)
    • Chambre spécialisée pour les intérêts civils (pour alléger la filière criminelle)

Conclusion : Urgence à agir

  • Les CCD ne sont pas une solution miracle : Elles ont délesté partiellement les cours d’assises, mais aggravent l’engorgement global faute de moyens
  • La seule issue : Doter la justice des ressources humaines, matérielles et financières nécessaires pour :
    • Juger dansdes délais raisonnables
    • Garantir une justice de qualité pour tous (accusés, victimes, société)
  • Message clé : « Sans moyens supplémentaires, toute réforme procédurale ne fera que déplacer le problème, sans le résoudre. La justice mérite mieux qu’une rustine : elle a besoin d’un vrai plan de sauvetage. »

Points saillants à retenir :

  • Les CCD ont atteint leur objectif de lutte contre la correctionnalisation, mais au prix d’un engorgement accru (CCD et cour d’assises) et sans désengorger les audiences correctionnelles
  • Les magistrats et greffiers sont en souffrance (charge de travail, moyens insuffisants)
  • Les solutions passent par un renforcement des effectifs et des infrastructures, et non par des réformes cosmétiques
  • L’USM insiste sur la nécessité d’une réflexion globale, incluant tous les acteurs du système judiciaire